Saga De L’été : « L’inconnu Du Lac » D’alain Guiraudie | Cnc

» « Ce qui est bien chez Guiraudie, c'est ça: il y a peut-être un monstre tapi quelque part mais, en attendant, on bronze et on jouit. » « Cette merveille ne ressemble à rien de connu. » « L'INCONNU DU LAC, n°1 du Top 2013 » « Stranger by the Lake is something of a wonder, a superbly made amalgam of Hitchcockian psychological thriller and explicit homoerotica. » Mention Spéciale - Compétition Internationale Giraldillo d'Or pour le meilleur film - section officielle Prix de la Meilleure Protographie pour Claire Mathon Prix du Meilleur Film International

L Inconnu Du Lac Le Film 2019

Qui aurait cru qu'Alain Guiraudie, réalisateur de contes libertaires rigolards ancrés dans le Sud- Ouest de la France, allait traverser le Rhône pour tourner un thriller provençal sur le désir « fatal »? Certes, L'Inconnu du lac est un conte, mais sérieux, en prise directe avec les peurs enfantines: la terreur du noir (l'extraordinaire travail sur la lumière, exclusivement naturelle, donne lieu à des crépuscules à vous brouiller la vue), celle d'être abandonné, la trouille d'un monstre dans le lac mais aussi celle d'un loup dans le bois. Le film nous replonge dans cet état d'enfance où l'excitation et l'angoisse se confondent pour ne plus former qu'une grosse boule, quelque part entre la gorge et le ventre. Petit à petit, à force de rituels (l'arrivée sur le parking, le parcours le long du sentier, l'installation dans la crique, la discussion avec Henri, le petit tour au coeur du bois), la mise en scène impose un climat anxiogène, renforcé par une véritable scénographie de la plage. Mais chez Guiraudie, on ne se donne pas « d'air ».

L Inconnu Du Lac Le Film

Les hommes qui se rejoignent ici semblent hors du temps, comme si, en ce lieu, la vie coulait plus lentement. Entre le cocon confortable et le piège isolé – dans ce bois, personne ne vous entend crier (ni jouir, serait-on tenté d'ajouter). Le trivial côtoie le poétique, le naturalisme se marie au fantastique et, comme toujours, Eros fraye avec Thanatos. Rares sont les films qui inscrivent et limitent leur action à ce que l'on appelle, dans la communauté gay, un « lieu de drague »; ceux qui ne cèdent pas à la surenchère dans le glauque font encore davantage figure d'exceptions. Alain Guiraudie propose à celles et ceux qui – quelle que soit leur orientation sexuelle – ignorent tout de tels lieux d'en découvrir les codes. Ici, les échanges peuvent paraître rudes, c'est une réalité, mais, en même temps, il est aussi réconfortant de voir que des corps aux morphologies diverses, s'exhibent, cohabitent, se frôlent, se caressent, s'aiment, sans peine ni gêne. Oui, on trouve dans L'Inconnu du lac une profonde douceur.
Les conversations prennent alors un double sens, la futilité fait place à l'essentiel. La mort s'invite dans ce tourbillon de désir et de passions, et fait tomber les masques. Comme chez Rohmer, le caractère épuré et naturaliste du film (les acteurs eux-mêmes jouent un peu faux) confère à chaque geste, chaque mot, une importance. Et si Guiraudie n'hésite pas à montrer les corps dans leur intimité (prenant le risque de choquer), ce n'est pas par provocation gratuite. Ils ont beau se mettre à nu, revendication de leur liberté sexuelle et du droit de jouir de leur corps comme il leur semble, ces hommes n'en sont pas moins prisonniers, de leurs instincts, de leurs passions, et jouent avec le feu. Il y a quelque chose de pourri dans ce Paradis sur Terre. D'où la remarque sage de l'inspecteur chargé de l'enquête, choqué par l'indifférence et le manque de solidarité de ces hommes entre eux après le meurtre: « Moi, je trouve que, parfois, que vous avez une drôle de façon de vous aimer. » L'homosexualité a toujours été plus ou moins au cœur du cinéma de Guiraudie, mais ici, elle s'affiche, sans tabous, jusque dans les scènes de sexe, impudiques, parfois dérangeantes et quasi inédites dans le cinéma d'auteur français (le film est interdit au moins de 16 ans).